Predjama : Le château du rebelle Erasme.
Au sud-ouest de la Slovénie se trouve une région au relief particulier que les scientifiques dénomme kartistique. Ce mot désigne une réalité très simple. Il s’agit d’une zone où la roche dominante est le calcaire. Le calcaire étant une roche très friable, ces régions ont été modelées, au cours du temps, par les rivières aussi bien en surface que sous terre. Cette zone géographique a offert de nombreuses grottes à nos ancêtres. Elles leurs ont fournies de nombreux abris, il y a de cela 150000 ans. Cependant, ces grottes et réseaux de cavernes reliées entre elles ont jouées un rôle dans l’histoire du châtelain le plus célèbre de Slovénie. Laissez moi vous compter cette aventure.
Pour arriver au château, il faut passer devant l’entrée des grottes de Postojna, et pousser jusqu’au petit village de Buskoje. La localité de Predjama se situe dans le dernier virage avant d’apercevoir le nid d’aigle. Ici prend fin la route et commence la falaise. Le premier contact est une évidence. Le château de Predjama est bel et bien imprenable. Une osmose parfaite entre les grottes karstiques millénaires et les techniques médiévales de construction. Blotti dans le ventre de la montagne, sous la protection d’une énorme cavité, le château est en grande partie troglodyte. D’ailleurs, dans son tracé initial, il l’était complètement. Au fil du temps et des époques, il fut sans cesse agrandi et embelli.
La plus ancienne occupation connue du site remonte au XIIème siècle. Mais son plus célèbre occupant reste Erasme : Erazem Predjamski en slovène. Aidé de sa place forte, il mis son ingéniosité au service de son insubordination puis de sa rébellion contre l’autorité de l’empereur Frédéric III d’Autriche. Erasme devint un brigand rebelle une sorte de Robin des bois slovène. Son histoire est une suite de facéties imprudentes conduite par la désinvolture jusque dans la tragédie finale.
Lorsque l’empereur Frédéric III d’Autriche guerroyait contre le roi hongrois Mathias Korvin, le châtelain Erasme se battit au coté de ce dernier. Vaincu le roi hongrois fut décapité. Erasme se vengea en tuant un proche de l’empereur d’Autriche. Pourchassé, Erasme se réfugia alors dans son nid d’aigle imprenable. Du haut de son château, il défia l’empereur. Déjà renégat, il devint brigand et attaquait les caravanes de marchand. Las de ses frasques, l’empereur d’Autriche fit assiéger son château par le commandant de la garnison de Trieste. Le siège dura une année entière. Le secret de cette étonnante longévité est le réseau de galeries et de grottes souterraines que contient cette montagne. Notre brigand avait des nombreuses portes de sorties vers l’extérieur. Personne, hormis les occupants du château, n’était au courant. Les assiégeants catapultèrent des projectiles durant un an sans le moindre succès. Comme vous le verrez sur les photos du coeur du château, l’entrée du dernier donjon se limite à la dimension d’une porte. Difficile, dès lors de déloger notre rusé voyou. Fort de sa liberté, il n’hésitait pas à provoquer les assaillants qui eux étaient affamés, en leur jetant toutes sortes de victuailles et des fruits de saison frais. Erasme avait donc toutes les cartes en main et pourtant, il fut vaincu. L’histoire ne pouvait prendre fin que par un acte de trahison. Donc une nuit de 1484, Erasme s’isola dans le lieu habituel pour satisfaire un besoin naturel et personnel. Le lieu est bien sur, à l’écart sur la paroi. C’est à ce moment qu’il fut trahi. Un serviteur préférant le confort de la cour et ces richesses futures indiqua aux assiégeants le moment précis où son maître occupait le lieu intime. Un déluge de pierre s’abattit sur la paroi et ensevelit Erasme. Cet acte lâche et méprisable enleva toute gloire et dignité à la fin d’Erasme. La légende dit qu’il repose sous la place de Predjama à portée de vue de son château. Sous l’immense tilleul, toujours vivant, planté par sa fiancé.
Au XVIème siècle le propriétaire Johann Kobenzl lui donna son apparence actuelle. L’actuelle rénovation du château est d’une intelligence rare. Elle est discrète et effectuée dans le respect historique avec les matériaux et les techniques médiévales. Les menuiseries et boiseries telles que les plafonds, portes et passerelles sont rénovés ou reconstruits de façon progressive.
Pour le visiteur, la grande et agréable surprise est la liberté totale d’action. Aucune pièce, hormis celles en restauration, n’est inaccessible. L’amateur est ravi de pouvoir parcourir et découvrir tous les coins et recoins sans entrave, hormis les scènes de vie reconstituées çà et là au hasard des pièces. La découverte des 38 pièces sur 6 niveaux est une remontée dans l’histoire médiévale. Suivez le guide. . .
En se dirigeant vers le pont-levis, unique entrée de la forteresse, le visiteur voit un ensemble majestueux, un rien inquiétant, un mélange de puissance et de grâce. Cette impression provient de la cohérence de l’édifice malgré les différentes époques de construction et d’agrandissement. L’effet d’ensemble emprunte à toutes les époques et donne une impression unique et personnelle encore augmenté par l’insolite du lieu.
Faisant face au château, on aperçoit nettement l’aspect en trois parties, une partie centrale et deux ailes situées de part et d’autre, un peu comme un triptyque ouvert. L’aile droite du château est la plus récente de l’édifice. Du rez-de-chaussée jusqu’au troisième étage, cette partie date de l’époque Renaissance. La partie centrale jusqu’au premier étage date de la période romane. Le deuxième et le troisième date de la période gothique. Concernant l’aile gauche, elle est de style roman jusqu’au deuxième étage. Les troisième et quatrième étages ont été rajoutés à l’époque gothique. C’est au quatrième étage qu’existe le pont-levis intérieur permettant de passer du château extérieur dans la grotte aménagée qui servait de tanière à Erasme l’indompté.
Le point de passage obligé est le pont-levis de la tour Renaissance. Passez le pont on accède au porche voûté avec sur la droite, le poste de garde. La voûte est immense et le sol carrelé mène jusqu’à la cour intérieure où les chevaliers quittaient leurs chevaux. Du rez-de-chaussée jusqu’au deuxième étage, cette tour contient à chaque étage une immense pièce occupant toute la superficie intérieure. Au dernier se trouvait la mansarde qui donnait sur le pont-levis. C’est de cette pièce que les occupants déversaient huile bouillante et projectiles sur les assaillants au travers des créneaux. D’ici les gardes avaient une vue sur le plateau. Ils dormaient sur place.
Au deuxième étage de la tour se trouve le passage qui mène à la partie centrale. Sur toute la hauteur du château, une faille plonge vers l’intérieur de la montagne. Certaines galeries secondaires remontaient jusqu’à la grotte centrale. Pour le visiteur, c’est le premier contact avec les parois, la rencontre des pierres taillées et de la matière brute. A cet endroit, se trouve la pièce de justice et ses cachots troglodytes attenants. En continuant vers l’aile gauche, à ce niveau, il faut traverser la grande salle à manger pour arriver à la cuisine à feu ouvert.
Le troisième étage semble être l’étage réservé au châtelain. La grande pièce de l’aile gauche contient une reconstitution de la vie moyenâgeuse. Après avoir traversé la chapelle, et les appartements du châtelain, on découvre l’ancienne pièce donnant sur le mur d’enceinte de cette époque avec mâchicoulis. Cette pièce donne maintenant sur la cour intérieure de la tour Renaissance, dont la construction est postérieure. C’est à cet étage, dans le recoin à gauche que se trouve la pièce des commodités où l’opiniâtre Erasme trouva la mort. La petite pièce en saillie est visible de l’extérieur du château.
Le quatrième et dernier étage n’existe que sur l’aile gauche et la partie centrale. Dans le couloir central se trouve une petite cloche qu’aucun touriste ne manque de faire sonner. Il conduit à une salle de guet à la vue exceptionnelle. Cette pièce était sans doute occupée par la garnison du château. Complètement à l’opposé, se trouve le dernier pont-levis, l’entrée à la citadelle d’Erasme. Il donne accès à la partie souterraine du château, le dernier bastion. Une dernière succession de niveaux au confort à peine amélioré par rapport aux âges préhistoriques amène à la dernière salle. Seul le sol dallé de la caverne permet de savoir que cette pièce à été occupée en des temps civilisés. Dans le fond de celle-ci, inaccessible au public, se trouve le départ de la galerie qui conduisait à l’air libre.
La redescente par l’escalier de l’aile gauche nous fait parcourir à nouveau l’enchevêtrement de couloirs et de marches parfois couvertes de mousse. Le chemin du retour nous ramène à la cour intérieure précédant la tour Renaissance. Et lorsque les lourdes portes du château se referment sur notre sortie, il nous semble perdre une certaine confiance qui nous avait habité pendant toute la visite. L’inquiétude d’être banni du plus rassurant des endroits.
Les abords du château méritent aussi une visite. La descente, périlleuse en hiver, jusqu’à la rivière Lokva permet d’atteindre le « trou aux pigeons » qui donne accès au gouffre de la Lokva. Le cours de cette rivière continue sous le château et la montagne. Durant des millions d’années, ce cours d’eau a creusé un labyrinthe de galeries et de salles souterraines. L’étendu de ce réseau est à l’heure actuelle inconnue. Les scientifiques estiment avoir exploré à peine un dixième des salles et galeries. La mission scientifique est basée dans les grottes de Postojna situé à dix kilomètres du château. Ils organisent régulièrement des expéditions spéléologiques afin de parvenir à connaître ce gigantesque système souterrain. La mission se révèle très difficile car la ligne de partage des eaux entre la mer Noire et la mer Adriatique passe par cette zone.
Au pied du château, il existe plusieurs accès vers le labyrinthe de galerie reliées entre elles. Sous la conduite d’un guide, il est possible d’en visiter une partie par le passage des écuries. Au travers de la galerie des noms puis de la galerie principale jusqu’à la grande salle. De cet endroit, il est possible d’atteindre l’air libre par la salle Fizenca. La sortie mène jusqu’au sommet et permet de surplomber le château. Je n’ai pu accomplir cet itinéraire de rêve car les écuries étaient fermées. Peut être pour rénovation ou à cause de la saison hivernale. Cela restera mon grand regret mais tout ne peut pas être parfait. J’ai pu me rabattre sur la visite, très originale, des grottes de Postojna. La première partie de la visite se fait assis dans un petit train à l’air libre, façon train de mineur. La suite se fait à pied avec les savantes et passionnantes explications d’un guide scientifiques. D’une beauté et d’une grandeur à couper le souffle, elles feront l’objet d’un autre reportage.
Voilà. La visite est terminée. Il me reste à vous dire qu’en été sont organisés des festivités médiévales avec des joutes équestres célèbres dans toute la Slovénie. Mais ce qui reste de cette incroyable visite c’est le souvenir d’avoir réaliser un rêve d’enfant : promener sans entraves ni retenu dans une forteresse intacte et se prendre pour le seigneur du château.
Elblondo Gérard
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